Des élections précipitées ne mèneront pas à une refondation de l’Etat

Depuis plusieurs années, les populations maliennes de Kayes à Menaka, de Kadiolo à Taoudéni, les vieux et jeunes, les femmes et hommes de toutes ethnies et confessions religieuses ont un accès de plus en plus facile aux libertés publiques et à l’information à proximité. Ces populations rurales comme urbaines sont de moins en moins obéissantes et résignées. Elles revendiquent et exigent plus de respect, d’écoute, de considération et de mieux-être. 

Mais la majorité des élites qui gèrent l’Etat n’a pas encore mesuré toutes les implications de cette mutation majeure sur l’organisation et le fonctionnement système politique et institutionnel du pays et les rapports gouvernants et gouvernés. L’Etat, malgré l’indépendance, a continué à maintenir les communautés locales dans des rapports de commandement, c’est à dire de soumission sans murmure, au besoin en les brutalisant. L’emballage du système colonial a changé, mais ses doctrines, ses perceptions et ses pratiques ont été conservées. Pire l’État, des « Faama » auxquelles le colonisateur a fait une passation, a dessaisi les communautés de leurs terres, a ignoré leurs territoires et a méprisé leurs savoirs et coutumes. 

Toutes les réformes tentées pour assainir les relations entre les « Faama » et les « fassodin » ont été entravées voire empêchées sous le prétexte du risque pour l’unité de la nation et d’affaiblissement de l’autorité de l’Etat. D’où la persistance du fossé qui sépare, encore de nos jours, le « Mali légal » des élites et le « Mali réel » des communautés locales. C’est ce fossé que sont venus élargir les « justiciers » de tout acabit qui exploitent, à leur avantage, les frustrations accumulées par ces communautés depuis des décennies. 

Les communautés locales, longtemps victimes résignées par impuissance, refusent désormais de se soumettre et se rebellent contre l’État et ses élites qui les ont longtemps méprisé et spolié. Elles exigent désormais d’être consultées, écoutées et responsabilisées pour les décisions qui concernent leur quotidien et celui de leurs territoires. La construction de la paix et de la stabilité commande que « l’Etat légal » redescende de son piédestal et accepte d’aller à une véritable négociation avec les représentants désignés par les communautés locales sur leurs territoires. 

Notre pays vit, depuis son indépendance, une succession de crises qui empêchent tout développement et qui menacent aujourd’hui sa cohésion et son unité. Il urge donc d’agir sur les causes de ces crises et pas seulement sur leurs conséquences. Toutes les analyses sérieuses pointent la faillite de l’Etat comme la cause principale de ces crises. Cet État, qui a montré des signes de faiblesses dès sa naissance, est miné par plusieurs décennies de mauvais choix et de mauvaises pratiques. En plus de son inadéquation, il est décrié, contourné et rejeté par la majorité des populations maliennes. Il n’est donc plus réparable, il faut le changer. C’est l’objet principal de la refondation qui est le prix à payer si nous voulons avoir un pays uni dans sa diversité, stable et en paix. Tout autre choix ne nous fera que gagner au mieux quelques années jusqu’à une prochaine crise plus grave avec un risque de plus en plus grand d’émiettement du pays et de la nation.

Le processus de négociation que je propose doit se dérouler sous forme de concertations. Il doit remonter des villages pour s’achever au niveau national et statuer en priorité sur la nature, les missions et l’organisation du nouvel Etat et ses rapports avec les communautés locales puis les grands choix du développement social, économique et culturel. Il donnera l’occasion d’écouter les idéaux, les espoirs, mais aussi les engagements de tous les acteurs locaux sur tous les territoires. 

Que personne ne vienne nous dire qu’un processus de négociation d’une telle envergure est difficile, voire impossible en raison du temps à y consacrer et des moyens qu’il exige. Pour ce qui est du temps, je suis de ceux qui pensent que consacrer deux (2) ans à un tel exercice refondateur et en sortir avec agenda malien consensuel de construction du « Mali Kura » vaut mieux que d’aller, comme par le passé, dans la précipitation, à de nouvelles élections tronquées, parce que ne concernant qu’une infime minorité des maliennes et maliens. 

La méthodologie de ce processus, adaptée au contexte actuel et aux possibilités du pays par la mobilisation de toutes les expériences nationales et capacités du pays, peut être préparée, partagée et validée en six (6) mois.

La négociation nationale elle-même se déroulera en quatre (4) phases sur douze (12) mois comme suit :

  1. la phase communale regroupant les représentants des villages/fractions/quartiers et la préparation des synthèses communales en deux (2) mois ;
  2. la phase locale (cercle) regroupant les représentants des communes, des organisations politiques et des associations et la préparation des synthèses locales en trois (3) mois ;
  3. la phase régionale regroupant les représentants des cercles auxquels s’ajoutent ceux des organisations socioprofessionnelles et la préparation des synthèses régionales en trois (3) mois ;
  4. la phase nationale regroupant les représentants des régions, des institutions et des administrations et organisations nationales puis la préparation de la synthèse nationale en quatre (4) mois. Cette phase statuera aussi sur les nouveaux choix politiques, institutionnels, économiques et de société sur lesquelles le nouveau Mali doit être bâti.

Enfin, la préparation des nouveaux textes, dont une nouvelle Constitution et la tenue du référendum et des élections générales se feront en six (6) mois.

C’est la préparation et l’organisation de ce processus de négociation nationale qui doit être le cœur de la feuille de route d’une transition plus inclusive, sous le pilotage du Président avec le Premier ministre, assisté d’un ministère délégué à la refondation de l’Etat, comme maître d’œuvre.

Bonne et heureuse année 2021 

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