C’est l’impunité et non la démocratie qui ruine le Mali

J’entends des personnes, pas seulement les moins avisées, dirent que les malheurs de notre pays viennent du choix de la démocratie à partir de 1991. Je me suis toujours demandé s’il s’agit bien du Mali dans lequel je vis et que je connais. À l’écoute de cette contre-vérité, j’ai longtemps secoué la tête en me disant que ces personnes sont soit mal informées, soit de mauvaise foi. Mais lorsque ce mensonge grossier prend l’allure d’une vérité, à force de matraquages politiciens et médiatiques, ne pas rétablir les faits prendrait l’allure d’une complicité. Témoigner sur ce que j'ai vu et vécu devient un devoir.

De la loi cadre de 1957 accordant l’autonomie au Soudan Français, au déclenchement de la révolution active, les soudanais, puis les néo-maliens ont jouit des libertés publiques. La Constitution de 1960, dans son titre premier, a consacré la démocratie et le pluralisme politique. C’est le Comité national de défense de la révolution (CNDR), créé par l’aile gauche de l'US-RDA, qui a dissous l'Assemblée nationale en 1967 et fortement restreint les libertés avec la création de la milice populaire. Après le coup d’Etat de 1968, « rendre aux maliens leurs libertés » a été le prétexte du renversement du régime par les militaires. D’où l’appellation de Comité militaire de libération nationale (CMLN) qu’ils se sont attribués. Malgré cette promesse faite aux maliennes et maliens, les militaires ont instauré un régime d’exception qui a confisqué les libertés publiques et interdit toutes activités politiques pendant une dizaine d’années. C’est en 1977 qu’ils ont fait adopté une Constitution qui institue un parti unique constitutionnel, l’Union Démocratique du Peuple Malien (UDPM) auquel ils donnèrent un statut de parti-Etat. 

Il n'y avait plus aucune activité politique acceptée en dehors de ce parti. C'était l’époque de « la démocratie au sein du parti ». Tout malien est d’emblée militant de ce parti. Le pays, fortement endetté par la mauvaise gestion et la corruption des gouvernants, a dû se soumettre, dès 1981, à une succession de programmes d’ajustement structurel (PAS) afin d'obtenir des financements auprès des prêteurs internationaux. Ainsi des dizaines d’entreprises d’Etat et d’opérations de développement furent fermées. Celles qui pouvaient être sauvées furent privatisées, l'Etat s'étant avéré mauvais gestionnaire. L’autocratie et la privation des libertés instaurées par la dictature militaire n’ont empêché ni la gabegie politique, ni l’effondrement économique et social du pays.

La réinstauration de la démocratie pluraliste et de l’Etat de droit en 1991 ont ré-ouvert de larges espaces de libertés publiques. Les maliennes et les maliens ont désormais reconquis le droit de créer librement leurs associations et entreprises privées, de s’engager dans le parti politique de leur choix et d’élire régulièrement leurs dirigeants. La libération des initiatives et des modes d’expression publics et privés a fait faire de grands progrès politiques et socio-économiques à notre pays. S’il est vrai que notre démocratie, bien que encadrée par des textes, a encore beaucoup de mal à être vertueuse. Il n’en demeure pas moins que ce ne sont pas les droits et libertés qu’elle consacre qui sont en cause. 

À toutes les étapes du parcours de notre pays, les conquêtes démocratiques et l’Etat de droit n’ont eu d’autres ambitions que de rendre les populations maliennes libres et dignes. Certes, ces conquêtes rencontrent encore de grandes difficultés, mais ne peuvent en rien être la source de nos malheurs, à moins de penser que notre peuple ne mérite que d’être esclaves donc soumis. Pour ma part, je trouve méprisant et même insultant d’entendre dire que « la démocratie n’est pas faites pour les maliens ».

Pourquoi les populations maliennes peinent-elles encore à jouir des droits et libertés que la démocratie leur confèrent est la bonne question à se poser. Répondre à cette interrogation oblige de porter un regard objectif sur le mode de fonctionnement de nos institutions et administrations, de nos appareils politiques et aussi sur nos comportements individuels et collectifs. Tout observateur honnête n’aura aucun mal à constater que c’est l’impunité et non la démocratie qui ruine le Mali. 

La démocratie permet à chacun de nous d’accéder à des droits et libertés dans le respect de règles définies. Toute personne qui s'affranchit de ces règles doit être sévèrement sanctionné. Ne pas punir les petites et les grosses corruptions, transformer les personnes de petites vertues en modèle et blanchir socialement les vols et les trafics d’influence sont les gros travers qu’il conviendrait de dénoncer et combattre. Ce sont les violations impunies, les mauvaises pratiques politiques et sociales, les arrangements sur le dos du bien commun et les entre-sois malsains, violant toutes les règles communes, qui alimentent la descente en enfer de notre pays et ce depuis longtemps..

Les pourfendeurs de la démocratie devront sortir des complicités et discours faciles qui étouffent le pays pour dénoncer et combattre toutes les impunités et autres dérives qui nous empêchent de jouir des droits et libertés chèrement conquis. En démocratie, les règles convenues et établies ne sont pas faites pour être ignorées, arrangées, contournées, mais pour être respectées. Si elles sont mauvaises, elles doivent être changées. 

Ceux qui veulent aider le Mali s’engagent et se battent pour que cela soit.

Ousmane SY

Grand Officier de l’Ordre National


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