Le renforcement de la démocratie au Mali, parlons des vrais problèmes

La lecture du projet de reforme constitutionnelle préparé par les experts du CARI sur commande du President de la République et les choix qui y sont faits laissent une impression tout autre qu'une réelle volonté de consolidation du processus démocratique de notre pays.
Je fais partie des personnes qui pensent que la Constitution est d'abord un contrat qui formalise les règles du vivre ensemble qu'une nation se donne. La solidité de ce contrat est fonction des termes du consensus obtenu sur : les valeurs qui fondent le contrat, les types de pouvoirs qui sont chargés de sa mise en œuvre, la nature et le contenu de chacun des pouvoirs et l'organisation de leurs rapports.
Cette contribution vise d'abord a explicité mes reproches de forme et de fond en qui ce concerne les propositions faites et ensuite à faire cas de mes regrets de l'occasion que nous manquons encore d'ouvrir un vrai débat de fond sur les faiblesses de notre processus democratique. Ce débat nous aurait permis non seulement de contribuer à la consolidation des acquis, mais aussi de faire de nouvelles conquêtes démocratiques.
1. Sur la forme :
La Constitution de février 1992, malgré ses faiblesses, est le produit du débat populaire de la Conference Nationale. Oser envisager une quelconque modification des termes de cet accord en soumettant directement à l'Assemblée Nationale des propositions dont l'intérêt et la pertinence ne sont validés par aucune concertation citoyenne relève d'un manque déconcertant de réalisme.
Le travail d'une équipe d'experts, quelque soit sa qualité et celle des choix qu'elle propose ne saurait se substituer à la volonté populaire des maliennes et maliens et aux diverses opinions exprimées dans les commissions de la Conférence Nationale de 1992.
Je rappelle à ceux qui semblent l'oublier, que nous sommes dans un processus démocratique en construction. Ceci impose un réalisme qui commande d'ajouter une dose de démocratie participative à la démocratie représentative symbolisée par le Parlement dont la légitimé n'est encore que formelle.
En conséquence, ce serait une erreur et même une faute aux conséquences graves que de soumettre les propositions du CARI directement à l'approbation du Parlement sans une consultation du corps social et politique qu'aucun reférendum ne saurais remplacer.
Enfin le projet de revision proposé touche à plusieurs aspects importants de la Constitution de 1992 sans que les raisons des choix faits ne soient explicitées. L'écriture ou la réécriture d'une Constitution n'est qu'une mise en forme juridique d'un agenda politique. il n' y a eu aucun débat sur l'agenda politique qui commande le projet de revision proposé.
2. Sur le fond :
Plusieurs spécialistes du droit constitutionnel ont pris la parole ou ont écrit en mettant le doigt sur les faiblesses et mêmes les incohérences de la plupart des propositions des experts du CARI, qui revèlent le vrai agenda comme par exemple :
- le fait de ne pas assumer l'hyper présidentialisme proposé qui fait de notre Président de la République un véritable monarque irresponsable. Même notre légendaire Soundiata Keita était entouré, au delà des valeurs éthiques et morales qu'il s'imposait, de contre-pouvoirs qui fonctionnaient dans l'Empire du Mali. Le Président de la République que les experts du CARI sera le maitre absolu de l'exécutif, du judiciaire, des élections et de l'audiovisuel en plus des pouvoirs exorbitants qu'il a déjà ;
- le fait d'enlever toute dignité à la fonction de Premier Ministre Chef de Gouvernement en faisant de lui un soldat au ordre à qui il est demandé d'engager sa responsabilité sur un programme qu'il n'a pas défini ;
- le fait d'affaiblir les députés, qui par leur nombre reflètent quoi qu'on pense les opinions plurielles de notre nation. L'assemblée nationale est affaiblie dans sa capacité à déterminer l'ordre du jour de ses sessions. La proposition d'une seconde chambre porte le risque d'alourdir le travail parlementaire sans qu'aucune proposition de simplification ne l'accompagne ;
- le fait de vouloir nous ramener au centralisme administratif en proposant sans autre forme de procès la suppression du Haut Conseil des Collectivités, une des rares innovations que le constituant de 1992 a réussi a arraché aux "gardiens du temple colonial" et l'érection à sa place d'un Sénat dont personne ne connait encore aujourd'hui ni les pouvoirs, ni la composition
- le fait de proposer une possibilité de caporalisation de la haute administration publique en permettant à certaines catégories de hauts fonctionnaires de militer dans des partis politiques
- le fait de permettre une possibilité de modification de la Constitution, sans passer par un référendum, pour une question aussi importante que le verrouillage du mandat présidentiel
3. Une occasion ratée :
Comme je l'ai mentionné lors de mon écoute par les membres de la commission d'experts du CARI tout renforcement de la démocratie dans notre pays doit passer par :
- un meilleur équilibre dans la répartition des pouvoirs qui doit renforcer et autonomiser le Parlement
- l'officialisation de nos langues nationales
- la reconnaissance et la cohabitation de toutes les légitimités qui impliquent une meilleure prise en compte des légitimités communautaires
- la promotion du partage et du consensus comme modalite d'exercice et de décision publique
- la décentralisation volontariste de la gestion publique
4. En conclusion, la Constitution ne deviendra le support d'un contrat social que si elle formalise un consensus de l'ensemble de la nation malienne sur :
- les principes et les valeurs qui fondent le contrat
- les types de pouvoirs qu'il faut pour concrétiser le contrat
- la nature et le contenu de chacun de ces pouvoirs
- et l'organisation de leurs rapports.
Ce qui est loin d'être le cas encore. Un référendum avant une large consultation du corps politique et social sur les propositions ne fera qu'affaiblir encore plus les institutions, donc la République et ses institutions.
L'absence de consensus sur les principes et des valeurs et la non prise en compte des références endogènes (les communautés et les langues) sont la raison fondamentale de la désarticulation entre nos nations et les Etats qui les gouvernent.
Enfin, pour la stabilité de nos institutions, de la démocratie et du pays, il est encore temps de comprendre que nos références et pratiques sociales sont plus proches de la conciliation que de la confrontation, du partage du pouvoir que de "celui qui gagne prend tout", du consensus comme modalité de prise de décision que du vote.

Ousmane SY
Coordinateur Régional
ARGA
Tel : (223) 20206330
Email : osy@cepia.org
http://ousmanesy.blogspot.com
Bamako. Mali

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