Pour un Mali uni et stable, il ne suffit plus de réviser la constitution, il faut la refonder
A l’occasion d’un
atelier organisé en mai 2008 à Lomé (Togo) par l’Alliance pour Refonder la
Gouvernance en Afrique (ARGA) sur le thème « L’Afrique en quête d’alternatives
constitutionnelles innovantes », le Professeur Assane MBaye de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar ne
disait-il pas que le procédé
d’élaboration et d’adoption des constitutions issues des Conférences Nationales des
années 1990 a fait croire qu’elles étaient véritablement une œuvre collective
impliquant tous les segments de la nation et que, partant, les compromis
qu’elles ont formalisés jouissaient d’une certaine intangibilité qui devait en
assurer la durabilité et la préservation des processus de démocratisation contre
les volontés individuelles.
Face aux crises,
l’euphorie consécutive aux conquêtes démocratiques a laissé place à une réalité
plus mitigée. Une sorte de « reflux », suscitant perplexité et interrogation
face à des modèles démocratiques et institutionnels de plus en plus ineffectifs
au sens où ils n’ont pas globalement produit les résultats escomptés et ne
semblent même pas en être sur la voie. Ces
modèles sont devenus instables et, paradoxalement, alimentent des crises parfois
violentes, plutôt que de les réguler. Il ne faut dès lors pas s’étonner que la
crise des modèles constitutionnels soit un aspect de la crise en général et du
modèle démocratique en particulier.
En dehors de la
parenthèse des conférences nationales, les procédés qui permettent d’associer
toutes les composantes de la nation à l’élaboration des constitutions sont restés
caricaturaux. Très souvent le contenu de la constitution n’est mis en débat que
dans des cercles restreints de techniciens. La caution populaire n’intervient
que dans la phase d’adoption par référendum, les populations étant davantage
appelées à se prononcer sur un « prêt-à-porter » qu’à effectuer un
choix éclairé sur des changements voulus et dont elles comprennent les enjeux.
Dès lors le
questionnement sur la crise politico-institutionnelle en cours dans notre pays doit
être replacé dans un contexte plus global d’adéquation de la norme
constitutionnelle aux règles du vivre ensemble des individus et des communautés
qu’elle est censée réguler. Posée plus clairement, elle interroge la
problématique de la légitimité du contrat social qu’est la constitution. On sait
aussi qu’au moment de son accession à l’indépendance, l’Etat malien, comme la
plupart des États africains, a cherché à unifier les multiples et diverses
communautés ethniques et religieuses dans la perspective de l’édification d’un
état-nation unitaire et centralisé.
La logique qui
soutend tout notre édifice politique et institutionnel est de conception
moniste dans le sens où seul le droit étatique, dit droit « officiel »,
est reconnu comme producteur de normes juridiques. A l’indépendance, d’une part,
on a procédé, au pire des cas, au déclassement de toutes les coutumes et, au meilleur des cas,
à des velléités d’intégration de certaines d’entre elles au droit officiel et la
source légale unique demeurant l’État. D’autre part, l’édification des droits
officiels dits modernes se caractérise par l’importation des systèmes et normes
juridiques des anciens colonisateurs. Cette greffe résultant du mimétisme politico-institutionnel
s’est traduite aussi en matière constitutionnelle. Même si cette question reste
encore presque taboue, l’efficacité de la greffe et ses conséquences sur la
supériorité que le droit positif attribue aux normes dites universelles par
rapport aux normes communautaires endogènes doit aujourd’hui être interrogée. N’aurait-on
pas, sous le couvert du principe d’universalité, importé dans nos constitutions
des valeurs inadaptées à nos sociétés et subséquemment des procédés de
légitimation du pouvoir, qui ne correspondent pas avec leur substrat
historique, social et culturel ? N’aurait-on
pas aussi essayé d’enfermer dans un corpus juridique moniste des sociétés
traversées par une diversité qu’elles ont su réguler pendant des siècles en
acceptant de s’ordonner autour du pluralisme ? Ceci explique à mon avis le
fait que les populations, parce qu'elles n’ont pas le sentiment d’être les
gardiennes de ces valeurs, se mobilisent peu pour la défense des constitutions suite
aux coups d’Etat militaires ou politiques qui surviennent souvent.
Le devoir
d’obéissance à une norme et la reconnaissance de sa supériorité ne dépendent
pas exclusivement des mécanismes techniques et procéduraux qui en garantiraient
le respect. Il y a une bonne dose de mythe et de représentation morale et
éthique qui constituent le soubassement d’un acte qui institue, constitue un
État et une communauté nationale. La recherche de ces « mythes
fondateurs » devient une problématique essentielle voire existentielle
pour des nations dont aujourd’hui le socle commun se perd à la faveur d’une
part de la mondialisation et, d’autre part, des clivages partisans, ethniques,
tribalistes, confrériques ou religieux.
La participation de
toute la diversité humaine et territoriale de notre pays à la définition et à
la codification des règles du vivre ensemble constitue une garantie essentielle
de l’adéquation des normes et valeurs que la constitution véhicule et de sa
défense collective. En particulier, n’y aurait-il pas des étapes préalables de
consultation des citoyens dans leurs communautés avant la mise au travail de toute
expertise technique ? Cette consultation doit dépasser la collecte de simples
avis sur un projet ficelé et être le moment de construire collectivement
un contrat de société et de donner un véritable sens à la notion de loi
fondamentale ?
Au total l’attitude
face à la question de la légitimité des valeurs et des normes constitutionnelles,
donc de leur capacité à fédérer toutes les diversités qui caractérisent notre
nation, et la réponse qu’on lui apporte, au-delà des exigences liées à
l’ordonnancement et la hiérarchie des pouvoirs, nous semblent être des éléments
qui imposent aujourd’hui un chantier de refondation de la constitution plutôt
qu’une simple révision qui ne sera qu’un ravalement de façade.
Ousmane SY
Ancien Ministre
Commandeur de l’Ordre National
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