Pourquoi et comment le Mali doit être régionalisé

Le Mali, comme la plupart des pays sahéliens, est confronté à des défis persistants qui se complexifient en raison des immobilises dans la gestion des affaires publiques. La raison principale de ces immobilismes est due à la faible intelligence stratégique par rapport aux mutations en cours dans le pays, en Afrique et dans le monde. La mauvaise gouvernance constamment évoquée depuis de longues années et les crises socio-politiques répétitives, qui n’en sont que les conséquences, renvoient à des causes profondes comme la non prise en compte de la dynamique des territoires dans la gestion des affaires publiques. 
Depuis plusieurs décennies[1], les décideurs publics ont été alertés sur la place centrale des territoires régionaux et locaux dans la recherche de réponses aux crises multiformes et surtout aux défis de la stabilité et du développement qui interrogent la nation malienne. Des initiatives de réforme, comme la décentralisation, ont mobilisé dans un grand enthousiasme les acteurs locaux. Cependant, toutes ces réformes ont du mal à produire des résultats probants et/ou durables en raison de fréquentes ruptures dues à la persistance de modèles politiques et administratifs qui datent de l’époque coloniale ; pire qui ne prennent pas suffisamment en compte les évolutions en cours telles que la démographie et l’urbanisation. Le résultat de cet immobilisme est la multiplication de frustrations menant à des révoltes passives ou violentes de populations mieux informées, ayant plus de droits et désireuses d’avenir. A ces défis internes, qui s’aggravent, s’ajoutent des menaces géostratégiques que l’Etat, dans sa configuration et ses capacités actuelles, n’est pas préparé à gérer. D’où l’impérieuse nécessité de définir de nouvelles modalités de gestion publique qui mettent les territoires régionaux et locaux et leurs acteurs au cœur des politiques publiques, sinon il y a péril en la demeure[2]Répondre à la crise structurelle dans laquelle notre pays est plongé implique une approche renouvelée qui prend en compte les spécificités des territoires régionaux et locaux et la représentation politique et culturelle des diversités humaines[3]. C’est à ce seul prix que le Mali sortira des instabilités politiques et institutionnelles, de la dépendance économique et pourra se hisser à la hauteur des attentes de ses populations. Cette refondation de l’infrastructure politique et institutionnelle contribuera à l’émergence et à la promotion d’initiatives locales et régionales ancrées dans des stratégies et programmes nationaux préparés par un Etat, garant de I'unité, de la souveraineté et de la solidarité nationale. Ce choix est celui de I'avenir ; cest à dire celui d’un Mali réconcilié, prospère parce qu’en paix et qui remobilise ses diversités (géographiques et humaines). Les maliennes et les maliens auront ainsi confiance dans leurs institutions et administrations capables de promouvoir une économie diversifiée, créatrice d’emplois et de revenus ; un système d’accès aux services publics plus performant et un environnement humain et naturel plus sain ; et dune plus grande solidarité entre toutes les communautés.
La quête, fort ancienne[4], de la décentralisation de la gestion des affaires publiques qui a été concrétisée et généralisée avec l’accès à la démocratie pluraliste et l’État de droit en 1992 a toujours eu pour ambition de faire revivre les territoires locaux et régionaux qui, de nos jours encore, s’appauvrissent et se dépeuplent. En ces temps de recherche d’alternatives pour une sortie de crise à travers la mise en œuvre de l’Accord pour la paix et la réconciliation et de retour de l’État dans centre du pays, l’approfondissement de cette réforme est une occasion de remobilisation de toutes les composantes de la nation malienne pour une réorientation des trajectoires politiques, institutionnelles, économiques et même sociales du pays. 


La régionalisation est la seconde phase du processus de décentralisation engagé en 1993….
Qui doit être consolidé et approfondi pour un développement cohérent et solidaire des territoires régionaux et locaux.
Mais la régionalisation renvoie a de nombreux défis qui doivent être correctement appréhendés. 


En 1992, le Mali, à travers la décentralisation de sa gestion publique, a fait le choix de la refondationde son Etat en espérant changer la perception, l’organisation et le mode de gestion de Iaction publique. Lexercice démocratique des responsabilités publiques au plus proche des populations, le meilleur accès à un service public de qualité et le développement économique des territoires étaient les ambitions de cette réforme.Les effets qui en étaient attendus sont : une confiance restaurée entre l’Etat, ses institutions, son administration et les communautés de base du pays, le rapprochement des décisions publiques, la gestion réactive des services publics de base, ainsi que le développement économique durable et solidaire des territoires. Chaque citoyen malien devrait participer à la construction de son pays et à son propre bien-être à partir de là où il vit. Les constructions politiques et institutionnelles du passé sont restées trop longtemps marquées par la croyance que le développement vient d’en haut ou d’ailleurs. Cest ce quil fallait changer. LEtat centralisé et uniformisateur, même déconcentré, n’est pas parvenu à maintenir la cohésion de la nation, à promouvoir des initiatives économiques porteuses de progrès durables et à entrainer un développement territorial équilibréLa décentralisation, plus quune simple façon répartition du pouvoir local, est pensée comme la voie pour refonder Iensemble des pouvoirs publics dans Iidée d’un développement institutionnel performant et cohérent, parce que mieux ancré et solidaire, afin de mieux responsabiliser le citoyen dans ses droits et devoirs.
La création des communes sur I'ensemble du territoire national et l’élection des décideurs locaux au suffrage universel en 1999/2000 ont lancé l’installation de la première étape du processus de la décentralisation. A partir de cette élection, plus d’une dizaine de milliers d’élus de proximité, dotés d’une légitimité directe, anime au quotidien la vie publique locale dans plusieurs centaines de territoires régionaux et locaux. La démocratie n’est plus un concept vague et lointain pour les populations au niveau local. Les initiatives locales qui expriment dans une grande diversité révèlent au grand jour toutes les richesses matérielles et immatérielles du patrimoine national sur lequel un avenir commun peut être bâti. L’accès au service public de proximité (état-civil, éducation, santé, eau potable et assainissement) a ainsi été amélioré, de façon notable.
Mais, l’affaissement progressif du portage politique et les hésitations dans le pilotage stratégique de la reforme ont installé des doutes sur l’engagement des autorités et créé une crise de confiance entre les acteurs nationaux et locaux chargés de la réforme. La gestion des affaires locales n’a pas encore réussi à être suffisamment collégiale et toutes les légitimités ne se sentent pas associées. Très peu d’élus rendent compte de leur gestion aux populations malgré les prescriptions légales. La corruption se généralise en raison de la faiblesse des dispositifs de contrôle (populaire, administratif et juridictionnel) et surtout du contrôle citoyen. La faiblesse des capacités humaines et financières au niveau des territoires fragilise la reforme. La forte dépendance des collectivités territoriales décentralisées des subventions extérieures est l’un des plus importants risques pour le processus de décentralisation. Le contexte international instable, ne confère aucune garantie sur la pérennité du soutien extérieur.

L’ampleur et la complexité de la crise en cours est venue, au prix fort, nous rappeler I’impérieuse nécessité des changements qui s’imposent à notre pays. Mais aussi dure qu’elle soit, cette situation indique aussi une opportunité qu'il serait bon de saisir.L’enjeu majeur de la création de la richesse et des emplois à partir du potentiel et du dynamisme de chaque territoire fait de l’échelle régionale lepivot territorial et institutionnel le plus pertinent et le plus efficace pour un développement économique national équilibré et solidaire. La régionalisation, cest la reconnaissance que la région est l’échelle intégrateur des stratégies de développement territorialisées de IEtat et des collectivités locales, dans le double respect d’une part des prérogatives de l’Etat et d’autre part de Iautonomie et des compétences dévolues aux pouvoirs régionaux et locaux. Pour l’Etat central, l’échelle régionale est assez lisible pour développer des fonctions que les communes ne peuvent envisager. Mais elle est aussi assez proche des communes pour aider ces dernières à faire émerger des priorités et programmes partagés.
Faut-il continuer à multiplier des inquiétudes qui verraient dans la régionalisation un fédéralisme déguisé ou rampant? Le Mali est un pays unitaire, mais il n’est ni territorialement ni humainement uniforme. Cette réalité, qui doit être gérée, est inhérente à son histoire, sa culture et sa géographie. La nation plurielle doit demeurer la source de tous les pouvoirs politiques et de toute autorité concédée ou déléguéequi ne peuvent découler que de la Constitution et des lois nationales. Les régions décentralisées de demain ne pourront en aucun cas être des rivales de l’Etat national dont elles tirent leur autorité et légitimité. La régionalisation ne met donc rien en cause de I'unitéet l’intégrité territoriale du pays, bien au contraire elle les renforce.Elle permet l’éclosion d’un dynamisme à travers des politiques publiques adaptées aux évolutions des territoires et des acteurs qui y vivent et des pouvoirs publics de proximité qui préviennent et règlent les conflits par une meilleure allocation des ressources collectives. La proximité de la décision publique peut aussi faciliter la transparence et la redevabilité de la décision publique.
La vocation de la collectivité décentralisée « Région » est d’organiser le développement des territoires dans un partenariat et dans le respect des prérogatives de l’Etat central. La taille des régions actuelles sera inévitablement questionnée dans le sens de leur adéquation avec la recherche d’une meilleure polarisation de l’armature territoriale du pays. Le potentiel naturel du pays se trouve sur les territoires régionaux et locaux, le partenariat de proximité entre les décideurs publics et les opérateurs économiques privés nationaux et internationaux dans le respect de la législation nationale est le meilleur gage pour la création de la richesse et des emplois dont le pays a tant besoin. Pour la communalisation, la volonté de vivre ensemble bâtie sur les solidarités locales a été priorisé. Le débat préparatoire de la régionalisation doit prioriser la viabilité et la vitalité économique du territoire à retenir comme région. Enfin, une simplification de l’organisation territoriale est nécessaire pour faciliter la décision publique et pour faire des économies sur l’allocation des rares moyens humains et financiers du pays. Dans cette perspective, le Cercle, en tant qu’échelon de décentralisation, doit disparaître au profit d’un accroissement du nombre de régions. 

Le premier de ces défis est le vrai partenariat avec les citoyens, les organisations communautaires, les entreprises locales publiques et privées et les organisations de la société civile dans la gestion des affaires publiques, y compris celles relatives à la gestion de la sécurité des personnes et de leurs biens.Le second est la capacité de relier et de faire coopérer les différentes échelles de territoire, selon diverses modalités. Les collectivités locales et régionales, plus proches des populations, disposent de beaucoup plus de facultés que I'Etat central pour parvenir notamment à la bonne perception des besoins et la réduction des inégalités liées à la diversité, et généralement plus ouvert à changement positif des comportements sociaux.
La régionalisation est aussi le déclencheur pour la relance et l’approfondissement de la réforme de IEtat qui est resté malgré tout centralisateur. Lenjeu de la refondation est la sortie ducentralisme uniformisant hérité, qui prévaut encore aujourdhui en dépit de tout bon sens, dans la mise en oeuvre des politiques publiques. Son corollaire est que les responsabilités et les ressources publiques (humaines et financières) liées aux compétences concédées soient effectivement et équitablement dévolues aux échelons territoriaux en charge de les mettre en oeuvre. Le niveau de transferts des responsabilités des agents publics comme des dotations budgétaires et fiscales aux collectivités territoriales doivent sinscrire dans un rapport de partenariat pluriannuel établi et concerté.
Enfin, ce processus doit permettre un meilleur maillage sécuritaire et renforcer la relation entre la nation et sa force de défense et de sécurité. Elle permettrait d’accélérer la mise en œuvre de la réforme du secteur de la sécurité qui doit aller de pair avec la décentralisation. C’est un volet crucial, le retour d’une sécurité durable dans les régions aura pour effet de favoriser diverses activités de dynamisation de la région et le retour de potentiels investisseurs. Aussi elle sera d’un apport déterminant pour le processus DDR en cours, les ex-combattants pourront facilement être réinsérer dans les activités génératrices de revenus dans leurs régions d’origine.
Le Mali connait une croissance démographique qui suscite beaucoup d’inquiétudes. Les territoires ruraux et urbains, ainsi que leurs espaces de transition connaissent une forte pression que Iaction publique doit impérativement prendre en charge.La régionalisation permet danticiper, dans la proximité, cette évolution afin dadapter au mieux Ioffre de service public aux besoins spécifiques des populations de chaque territoire. Les pôles urbains et le réseau des villes secondaires seront à développer, selon leurs réalités économiques, sociales et culturelles, pour que la croissance démographique soit résorbée par une croissance économique partagée.
Les populations maliennes, en majorité jeunes, aspirent àun mieux-être économique et social. Mais le dynamisme et Iactivité économique ne peuvent pas se concentrer dans la seule agglomération de Bamako et ses environs, qui concentrent une part considérable des industries et des services en raison surtout de la concentration de la dépense publique. Si IEtat doit se donner un projet pour Iaménagement du territoire national et Ia relance de l’économie du pays, seule I'action publique des collectivités fera de chaque territoire du pays un espace dynamique de production de richesses et d’emplois. Les centres urbains, comme les zones rurales pourront mieux exploiter leurs atouts et inciter l’investissement privé pour la réalisation des aspirations légitimes àla prospérité.La région, dans le développement économique des territoires, doit être renforcée dans sa position d'interface entre IEtat central et les collectivités territoriales de base. Elle peut développer des moyens dactions nouveaux, notamment dans l’organisation de filières économiques et Iattractivité des investisseurs.
Lamélioration de laccessibilitéet de la qualitédu service public est un enjeu premier de la décentralisation, au centre duquel se situe le service au citoyen, qui donne du crédit à l’Etat. La première phase de la reforme, la communalisation, a amorcél’amélioration de cette offre au citoyen, en particulier dans les secteurs sociaux de base (santééducation, hydraulique, assainissement, état civil, etc.). L’extension de ce progrès est aussi attendue de la régionalisation. Dans la plupart de ces domaines les régions pourront adapter la modernisation et la simplification des démarches et procédures administratives.
Enfin, pour réussir, la régionalisation doit être portée par une volonté politique qui est essentielle. Elle doit être lisible et visible pour tous les acteurs du champ politique, économique et social du pays. Des stratégies nationales, régionales et locales de mobilisation sociale et de communication doivent accompagner la préparation et la mise en œuvre de cette réforme. En la matière, un consensus crédible est indispensable en gouvernants et gouvernés.




[1]La Conférence de Gao sur la planification décentralisée sous la 2èmerépublique et les débats suite à la présentation de l’état de la nation à la conférence nationale de juillet-aout 1991.
[2]L’émiettement territorial et le repli communautariste sont de plus en plus perceptibles dans le pays
[3]Ces diversités ne sont pas que ethniques
[4]Ce choix date de la 1èreRépublique et la 2èmel’a reconduit à sa façon 

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