Le Mali, une Nation qui cherche encore un État (suite et fin)
3. La troisième République a amorcé la refondation de l’Etat :
La Conférence Nationale (29 juillet au 12 Aout 1991) qui a réuni toutes les composantes de la nation malienne, après avoir écouté l’état de la nation présenté par le Chef de Gouvernement de la période de
transition a, entre autres, proposé un projet de Constitution
reconnaissant à chaque citoyen malien le droit de créer ou d’adhérer une organisation politique, associative ou professionnelle de son choix. A
travers ce choix, les maliennes et maliens ont décidé de construire un Etat de droit et une démocratie
pluraliste favorisant l’expression et la prise en compte de la diversité des opinions et des choix.
La 3ème République a ainsi engagé le pays dans la voie de la
construction d’un Etat qui reconnait et prend en compte la diversité comme modalité de gestion publique.
Mais ce choix de la promotion du pluralisme politique et institutionnelle doit, pour avoir un impact, se
prolonger dans les constructions administratives et économiques.
La décentralisation de la gestion publique entamée en 1999/2000 par la mise en place des collectivités
territoriales et leurs organes de gestion et la mise en place du Haut conseil des Collectivités (HCC) qui est
l’expression politique et institutionnelle au niveau de l’Etat central de la diversité de notre nation, sont les
premiers pas sur le long chemin qui doit nous conduire à la nécessaire refondation de l’Etat-Nation hérité
de la colonisation. Les institutions publiques centrales et locales doivent nécessairement être le résultat
d’une production socioculturelle endogène si elles veulent être légitimes, durables et gagner en crédibilité
et en efficacité. Les apports extérieurs peuvent alors venir enrichir un ensemble institutionnel solidement
ancré et approprié les populations maliennes.
Cette perspective ouvre le débat sur le projet démocratique et tous les défis qu’il engendre. Quel est le
modèle valide (une démocratie représentative et/ou une démocratie participative) ?Quelles modalités de
choix des dirigeants et d’expression de la décision publique (le vote et/ou le consensus) ?
Quelle modalité
d’accès à la gestion publique (perdant/gagnant et/ou partage).Au défi du projet démocratique, s’ajoute celui du développement. Notre pays, comme la plupart des pays du
continent, est installé dans un paradoxe : un potentiel naturel important et une des populations les plus
pauvres du monde. Au mon avis, le placage du modèle d’État-Nation, conçus en dehors des communautés
locales qu’il est sensé gérer, reste aujourd’hui encore une des entraves majeures à nos ambitions du développement.
Cet État-Nation jacobin, dont la refondation est amorcée, est né avec deux handicaps majeurs; premièrement celui d’avoir
été pensé et construit en fonction des besoins et selon des desseins qui étaient totalement étrangers aux
populations du pays ; de ce fait, il demeure encore aujourd’hui trop éloignés de ces populations et
deuxièmement, l’intangibilité des frontières héritées de la colonisation érigée en dogme,
Dans les constructions institutionnelles proposées, à commencer par la Constitution, les logiques communautaires et
la grande diversité qui caractérisent notre société sont ignorées au profit de la mise en exergue de l’identité
de l’individu et de sa nationalité exclusive. La diversité des réalités de territoires locaux et régionaux est
occultée au profit du culte d’un territoire national délimité par des frontières qui hachent des dynamiques
communautaires encore vivaces et d’une approche exclusivement sectoriel du développement.
Le jacobinisme centralisateur a été érigé en méthode de gouvernement même si les proclamations
politiques et les textes disent le contraire. Bien que déjà la Constitution du 22 septembre 1960 affirmât que les collectivités territoriales devaient s’administrer librement par des conseils élus et que dans ces
collectivités, le délégué du Gouvernement est en charge des intérêts de la République, du contrôle administratif et du respect des lois, cette disposition est restée lettre morte jusqu’à la naissance de la IIIe
République4 qui a rendu effectif ce principe fondamentale de la libre administration.
De nos jours encore et malgré la mise en place des collectivités décentralisées, les populations, surtout
rurales, sont considérées et traitées comme des « sujets » administrés qui n’ont que des devoirs et non
comme des citoyens qui ont aussi des droits et des responsabilités. Cela explique, en grande partie, le peu
de souci que les institutions et les décideurs publics ont de leur légitimité.
Malgré les tentatives de constructions démocratiques en cours depuis près de deux décennies, les
formations politiques et les pouvoirs publics qui en sont issus misent toujours sur le clientélisme et les
pratiques de corruption que sur la recherche de l’adhésion des populations à leurs projets pour autant
d’ailleurs qu’ils en aient un.
Le pire, c’est que des pratiques comme l’utilisation de la force en lieu et place de la recherche de l’adhésion
et l’imposition des corvées comme méthode de mobilisation sociale, développées par le colonisateur et
« recyclées » par les pouvoirs politiques et administratifs postcoloniaux, ont fini par être présentées comme
intrinsèques nos sociétés.De ce fait, les communautés rurales et urbaines ont développé deux types d’attitudes vis-à-vis de l’État
national centralisé. D’une part, son assistance est sollicitée parce qu’il faut lui soutirer le maximum de profit
pour soi et pour les siens. D’autre part, l’État central et ses démembrements territoriaux restent la bête noire dont
les communautés de base se méfient encore de nos jours.
Je me range aux côtés de ceux, qui pensent que la voie du changement ne passera pas par la réplication de
modèles politiques, économiques et institutionnel unique et uniforme. Pour résoudre l’équation infernale de la
paupérisation croissante des populations et des conflits identitaires et sectaires qui n’engendrent que de
l’instabilité, notre pays doit chercher à sortir de l’impasse dans laquelle l’enferme la persistance de vouloir
maintenir l’État centralisateur.
A mon avis, la refondation de cet État passera par la mise en œuvre persévérante de deux réformes structurelles
majeures : 1°) la décentralisation de la gestion publique pour impliquer la majorité de la population
dans l’effort de construction du développement ; 2°) la promotion d’une intégration régionale
volontariste afin de renforcer la capacité du pays à exister dans un monde qui se globalise.
La décentralisation de la gestion publique et l’intégration des pays impliquent une autre façon de d’aborder
la gestion des affaires publiques. La construction d’une société démocratique pour le bien-être de tous, ne
peut se faire en dehors de valeurs, de normes connues, comprises et admises par les populations. Ce sont
les conditions minimales qu’il faut réunir pour qu’une gestion publique soit légitime.
Il ne saurait exister de
bonne gestion des affaires publiques dans un pays où les communautés urbaines et rurales et tous les groupes sociaux affichent une indifférence totale par rapport aux institutions publiques. On ne
trouvera de réponses à cette indifférence que si la majorité de la population se reconnait dans l’État et
qu’elle légitime ses institutions. La démocratie formelle et représentative telle qu’elle est entrain d’être
pensée n’est pas une réponse suffisante. Chaque société doit savoir, à chaque étape de son évolution, inventer des réponses spécifiques à ses problèmes de gestion publique en fonction de sa culture et de ses
défis, besoins et exigences du moment.
Je conclus en disant que le Mali, à l’entame du 2ème cinquantenaire de son indépendance, doit prendre appui
sur son riche patrimoine institutionnel multiséculaire pour inventer les modalités de la gestion publique
moderne, mais qui soient enracinées et partagées par sa population. De ce fait la gouvernance devient
légitime parce que les maliennes et maliens de tous les âges et de toutes les catégories sociales sont en accord et
se reconnaisse dans la manière dont leurs affaires sont gérées. Ce qui est très loin d’être le cas
aujourd’hui.
Dans le domaine de la construction de l’Etat, comme le dit la sagesse populaire, « il faut chercher une
chaussure qui aille à nos pieds au lieu de nous évertuer à vouloir tailler nos pieds pour les loger
dans une chaussure qui manifestement n’est pas à la bonne taille ».
La Conférence Nationale (29 juillet au 12 Aout 1991) qui a réuni toutes les composantes de la nation malienne, après avoir écouté l’état de la nation présenté par le Chef de Gouvernement de la période de
transition a, entre autres, proposé un projet de Constitution
reconnaissant à chaque citoyen malien le droit de créer ou d’adhérer une organisation politique, associative ou professionnelle de son choix. A
travers ce choix, les maliennes et maliens ont décidé de construire un Etat de droit et une démocratie
pluraliste favorisant l’expression et la prise en compte de la diversité des opinions et des choix.
La décentralisation de la gestion publique entamée en 1999/2000 par la mise en place des collectivités
territoriales et leurs organes de gestion et la mise en place du Haut conseil des Collectivités (HCC) qui est
l’expression politique et institutionnelle au niveau de l’Etat central de la diversité de notre nation, sont les
premiers pas sur le long chemin qui doit nous conduire à la nécessaire refondation de l’Etat-Nation hérité
de la colonisation. Les institutions publiques centrales et locales doivent nécessairement être le résultat
d’une production socioculturelle endogène si elles veulent être légitimes, durables et gagner en crédibilité
et en efficacité. Les apports extérieurs peuvent alors venir enrichir un ensemble institutionnel solidement
ancré et approprié les populations maliennes.
Cette perspective ouvre le débat sur le projet démocratique et tous les défis qu’il engendre. Quel est le
modèle valide (une démocratie représentative et/ou une démocratie participative) ?Quelles modalités de
choix des dirigeants et d’expression de la décision publique (le vote et/ou le consensus) ?
Quelle modalité
d’accès à la gestion publique (perdant/gagnant et/ou partage).Au défi du projet démocratique, s’ajoute celui du développement. Notre pays, comme la plupart des pays du
continent, est installé dans un paradoxe : un potentiel naturel important et une des populations les plus
pauvres du monde. Au mon avis, le placage du modèle d’État-Nation, conçus en dehors des communautés
locales qu’il est sensé gérer, reste aujourd’hui encore une des entraves majeures à nos ambitions du développement.
Cet État-Nation jacobin, dont la refondation est amorcée, est né avec deux handicaps majeurs; premièrement celui d’avoir
été pensé et construit en fonction des besoins et selon des desseins qui étaient totalement étrangers aux
populations du pays ; de ce fait, il demeure encore aujourd’hui trop éloignés de ces populations et
deuxièmement, l’intangibilité des frontières héritées de la colonisation érigée en dogme,
Dans les constructions institutionnelles proposées, à commencer par la Constitution, les logiques communautaires et
la grande diversité qui caractérisent notre société sont ignorées au profit de la mise en exergue de l’identité
de l’individu et de sa nationalité exclusive. La diversité des réalités de territoires locaux et régionaux est
occultée au profit du culte d’un territoire national délimité par des frontières qui hachent des dynamiques
communautaires encore vivaces et d’une approche exclusivement sectoriel du développement.
Le jacobinisme centralisateur a été érigé en méthode de gouvernement même si les proclamations
politiques et les textes disent le contraire. Bien que déjà la Constitution du 22 septembre 1960 affirmât que les collectivités territoriales devaient s’administrer librement par des conseils élus et que dans ces
collectivités, le délégué du Gouvernement est en charge des intérêts de la République, du contrôle administratif et du respect des lois, cette disposition est restée lettre morte jusqu’à la naissance de la IIIe
République4 qui a rendu effectif ce principe fondamentale de la libre administration.
De nos jours encore et malgré la mise en place des collectivités décentralisées, les populations, surtout
rurales, sont considérées et traitées comme des « sujets » administrés qui n’ont que des devoirs et non
comme des citoyens qui ont aussi des droits et des responsabilités. Cela explique, en grande partie, le peu
de souci que les institutions et les décideurs publics ont de leur légitimité.
Malgré les tentatives de constructions démocratiques en cours depuis près de deux décennies, les
formations politiques et les pouvoirs publics qui en sont issus misent toujours sur le clientélisme et les
pratiques de corruption que sur la recherche de l’adhésion des populations à leurs projets pour autant
d’ailleurs qu’ils en aient un.
Le pire, c’est que des pratiques comme l’utilisation de la force en lieu et place de la recherche de l’adhésion
et l’imposition des corvées comme méthode de mobilisation sociale, développées par le colonisateur et
« recyclées » par les pouvoirs politiques et administratifs postcoloniaux, ont fini par être présentées comme
intrinsèques nos sociétés.De ce fait, les communautés rurales et urbaines ont développé deux types d’attitudes vis-à-vis de l’État
national centralisé. D’une part, son assistance est sollicitée parce qu’il faut lui soutirer le maximum de profit
pour soi et pour les siens. D’autre part, l’État central et ses démembrements territoriaux restent la bête noire dont
les communautés de base se méfient encore de nos jours.
Je me range aux côtés de ceux, qui pensent que la voie du changement ne passera pas par la réplication de
modèles politiques, économiques et institutionnel unique et uniforme. Pour résoudre l’équation infernale de la
paupérisation croissante des populations et des conflits identitaires et sectaires qui n’engendrent que de
l’instabilité, notre pays doit chercher à sortir de l’impasse dans laquelle l’enferme la persistance de vouloir
maintenir l’État centralisateur.
A mon avis, la refondation de cet État passera par la mise en œuvre persévérante de deux réformes structurelles
majeures : 1°) la décentralisation de la gestion publique pour impliquer la majorité de la population
dans l’effort de construction du développement ; 2°) la promotion d’une intégration régionale
volontariste afin de renforcer la capacité du pays à exister dans un monde qui se globalise.
La décentralisation de la gestion publique et l’intégration des pays impliquent une autre façon de d’aborder
la gestion des affaires publiques. La construction d’une société démocratique pour le bien-être de tous, ne
peut se faire en dehors de valeurs, de normes connues, comprises et admises par les populations. Ce sont
les conditions minimales qu’il faut réunir pour qu’une gestion publique soit légitime.
Il ne saurait exister de
bonne gestion des affaires publiques dans un pays où les communautés urbaines et rurales et tous les groupes sociaux affichent une indifférence totale par rapport aux institutions publiques. On ne
trouvera de réponses à cette indifférence que si la majorité de la population se reconnait dans l’État et
qu’elle légitime ses institutions. La démocratie formelle et représentative telle qu’elle est entrain d’être
pensée n’est pas une réponse suffisante. Chaque société doit savoir, à chaque étape de son évolution, inventer des réponses spécifiques à ses problèmes de gestion publique en fonction de sa culture et de ses
défis, besoins et exigences du moment.
Je conclus en disant que le Mali, à l’entame du 2ème cinquantenaire de son indépendance, doit prendre appui
sur son riche patrimoine institutionnel multiséculaire pour inventer les modalités de la gestion publique
moderne, mais qui soient enracinées et partagées par sa population. De ce fait la gouvernance devient
légitime parce que les maliennes et maliens de tous les âges et de toutes les catégories sociales sont en accord et
se reconnaisse dans la manière dont leurs affaires sont gérées. Ce qui est très loin d’être le cas
aujourd’hui.
Dans le domaine de la construction de l’Etat, comme le dit la sagesse populaire, « il faut chercher une
chaussure qui aille à nos pieds au lieu de nous évertuer à vouloir tailler nos pieds pour les loger
dans une chaussure qui manifestement n’est pas à la bonne taille ».
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