En avant pour des réformes audacieuses
La crise que notre pays vit depuis 2012 est une des plus grave de son histoire contemporaine. Nous sommes tous profondément meurtris par la profondeur et la complexité de cette crise qui nous renvoie une image de nous même au dessus de laquelle nous pensions être. J'entends encore, en réaction aux crises de certains pays en Afrique et ailleurs dans le monde, des compatriotes dirent fièrement "Ceci ne peut pas se passer au Mali". Nous sommes tombés de très haut.
La sortie de cette crise structurelle, pour un Mal plus uni et stable, va demander des réformes audacieuses, profondes et longues. Des choix anciens et nouveaux, dans lesquels nous nous sommes confortablement installés, devront être reinterrogés en lien avec les évolutions et leur pertinence au vu de notre contexte. A mon point de vue, un débat public doit être ouvert à toutes les échelles du territoire (villages, quartiers, communes, cercles et régions) pour ne rater aucune composante territoriale, humaine et socioprofessionnelle de notre pays, sur des sujets touchant la politique, les institutions, la société elle même, bref tout ce qui détermine les stratégies de développement économique, social et culturel futures de notre pays.
Sans prétendre à une exhaustivité, je suggère ci-dessous des questions qui me paraissent majeures et des pistes de réponses à explorer.
En première position il y a la question de l'Etat. Je suis de ceux qui persiste à croire que la panne de notre pays est d'abord celle du modèle d'Etat dans lequel nous nous sommes embarqué et qui prend de l'eau de toutes parts et depuis longtemps. L'Etat centralisé et tentaculaire qui veut se substituer ou dominer toutes les autres autorités de la nation plurielle qu'est Mali ne tient pas la route. Cet État n'a jamais marché depuis l'indépendance et il devient aujourd'hui une menace pour l'unité de notre nation. Nous devons nous mettre en quête d'un modèle d'Etat qui est certes unitaire, mais qui soit en confort avec la nation plurielle que nous sommes. Mettons dans notre Constitution que l'État du Mali est unitaire et décentralisé qui reconnaît, responsabilise et donne des moyens humains et financiers aux autorités élues ou reconnues de tous les territoires de ce pays. Le train de vie de cet État décentralisé devra aussi être mis en rapport avec les possibilités réelles du pays. Cultivons la notion de l'Etat modeste qui nous sortirait de la mentalité de mendiants et d'assistés érigée en mode de gestion publique. Mettons un frein à la prolifération et à la duplication des services publics. Si notre État, nos institutions et administrations continuent à dépenser l'argent que nous n'avons pas, nous resterons dépendants, donc un pays de moins en moins souverain.
Notre Président de la République est, de part les pouvoirs constitutionnels qu'il détient actuellement, un véritable monarque "irresponsable" tant qu'il est au pouvoir. Il faut reduire ses pouvoirs et le rendre responsable et redevable de ses actes même en cours de mandat. Mettons des garde-fous à l'immixtion de sa famille dans la gestion des affaires de l'Etat. Osons une réduction des institutions qui sont plus dépensières qu'utiles et opérons un rééquilibrage des pouvoirs entre celles qui méritent d'exister.
Chaque malienne et malien se réfère culturellement à un chef coutumier ou religieux, bref à une autorité qui le relie à la tradition et qui continue malgré les évolutions à jouer un rôle pour la stabilté de la société. Ces références culturelles majeures dans toutes les communautés qui composent la nation malienne sont les grands oubliées de notre Constitution. On en a fait des simples auxiliaires sinon des objets aux mains de l'administration d'Etat en occultant le rôle de régulateur qu'ils incarnent à la base de la société. Redonnons un rôle, un rang, du respect et des moyens d'existence à nos chefs traditionnels et coutumiers pour les mettre à l'abri de toutes les instrumentalisations actuelles et à venir. Ainsi nous mettrons un peu de nous dans notre dispositif institutionnel.
Ensuite, le modèle de démocratie bâti sur la confrontation (majorité/opposition) et l'exclusion (gagnant/perdant) que nous nous évertuons à implanter à grand frais ne produit que du gâchis à tous les points de vue. Une démocratie consensuelle et inclusive, avec de la participation et du partage est une alternative au modèle en cours qui n'est pas efficace et dont le produit est de moins en moins legitime. Sans renoncer au multipartisme intégrale qui reste une conquête politique majeure, il est utile de mettre un filtre un peu plus resserré pour la participation des partis et des candidatures indépendantes aux élections et pour l'accès aux financements publics. L'envergure territoriale d'implantation, l'augmentation du nombre de parrains et un meilleur respect des textes sont des voies à explorer.
Le système électoral en cours ne permet pas la représentation des diversités et des minorités de notre pays. Acceptons d'introduire la proportionnelle dans les élections législatives pour que l'Assemblée Nationale soit une représentation de la nation dans sa grande diversité humaine et sociale. Pour ce faire sortons des hésitations à accorder un quota de représentation aux femmes, aux jeunes et aux autres minorités. Dans la gestion des affaires publiques donner de la représentation aux minorités ne peut que renforcer l'unité de notre nation qui est aujourd'hui fragilisée.
Le Mali a toujours été un pays de multiples religions qui ont cohabité dans la solidarité et la fraternité. Cette nation a toujours rejeté toutes les tentatives d'installation des pouvoirs théocratiques, mais elle s'est ouverte à la cohabitation conviviale entre toutes les religions. Cependant le choix de la laïcité ne doit pas empêcher l'Etat d'avoir une politique en direction des religions. La mise en place du Haut Conseil Islamique et la Maison du Hadj étaient les premières fondations de cette politique qui mérite d'être poursuivi en direction de tous les cultes. Mais aujourd'hui dans ce domaine nous sommes plus dans l'accompagnement que dans l'anticipation. Sur cette question l'Etat doit se réveiller, car il y a péril en la demeure.
Ousmane SY
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