L’Etat malien a des problèmes avec toutes ses communautés, pas seulement les peuls
La Nation malienne est
pluricommunautaire[1].
Chaque malienne et malien, s’identifie d’abord par sa communauté ethnique (le
nom porté) et il ou elle en est fier(e). Aujourd’hui encore, de par son nom, on
est peul, bambara, bwa, soninké, songhaï et aussi malienne ou malien. La
colonisation, à travers la reconnaissance des chefs autochtones qu’elle a
trouvé en place ou souvent l’installation des nouveaux chefs choisis au sein les
communautés, a utilisé la logique communautaire à son profit. Pour la
réalisation de son projet politique et économique, le pouvoir colonial s’est
appuyé sur ces pouvoirs locaux auxquels il a accordé des prérogatives. Les
pères de l’indépendance, pensant libérer les communautés de l’oppression, ont
combattu les chefs de canton considérés comme des relais ou suppôts de
l’administration coloniale.
Les arrondissements ont ainsi été créés comme des unités territoriales déconcentrées de l’Etat en remplacement ou par la fusion des cantons. Un fonctionnaire de l’Etat a été installé à la tête de chaque arrondissement avec l’esprit et presque les mêmes prérogatives que l’administrateur colonial. Les Chefs d’arrondissement, représentant du pouvoir central, ont pris toutes les prérogatives des chefs de canton qui ont été mis sous tutelle et réduit à l’état de subordonnés de l’autorité centrale sans aucune autonomie d’initiatives.
Toute tentative d’ouverture de débat sur les questions communautaires a
été et est encore perçue comme une promotion du communautarisme qui serait une entrave
à la réalisation de l’unité nationale. A partir de ce moment les diverses communautés
locales qui composent la nation malienne ont pris le « maquis[2] »
par rapport à l’Etat/nation centralisé. Ce modèle d’Etat, qui s’est donné comme
objectif de faire de chaque malienne et malien un(e) « citoyen(ne) » débarrassé
de son patrimoine communautaire, a de la peine à fonctionner avec efficacité.
Pire, l’identité ethnique et communautaire est diabolisée au point de l’exclure
de toutes les normes juridiques et institutionnelles nationales en oubliant que
la diversité n’est pas le contraire de l’unité. La question communautaire devient communautariste si elle consiste à exclure et à stigmatiser l'autre. Au Mali jusqu'à présent notre patrimoine culturel nous a mis a l'abri d'une telle dérive.
De nos jours l’ouverture démocratique et la conquête des droits et libertés publiques
ont redonné l’initiative aux communautés et à leurs leaders. La logique
communautaire qui a été longtemps opprimé prend sa « revanche » avec
tous les risques de manipulation politique et administrative ancienne et
nouvelle dans le choix et la nomination des chefs de villages et autres leaders
communautaires. Les revendications communautaires débridées, auxquelles nous
assistons aujourd’hui et qui sont une menace grave pour l’unité du pays, en
sont les conséquences. Je reste convaincu que si nous refusons de gérer notre
diversité, d’autres le feront dans leurs intérêts et à notre détriment.
Hier, c’étaient les communautés tamasheqs et arabes qui ont pris les
armes contre l’Etat centralisé et oppresseur pour eux. Aujourd’hui, c’est la
communauté peul qui se sent à tord ou à raison brimer et qui menace de s’armer pour se défendre. Demain ce
serait d’autres communautés qui vont se manifester. Pendant qu’il est encore
temps, nous devons faire face aux risques d’une explosion communautaire et ses
conséquences pour l’unité notre nation et la stabilité du pays.
Donnons nous un projet national de refondation de l’Etat qui fait
confiance et qui responsabilise nos communautés rurales et urbaines, sinon
d’autres les mobiliseront pour leurs propres projets. Je propose pour ce faire
l’ouverture rapide d’un débat public sur :
a) La reconnaissance et la réhabilitation de la question communautaire
dans notre acte fondamental lors de la prochaine révision
constitutionnelle ;
b) La codification du choix et de l’investiture des leaders locaux selon les
traditions et les us et coutumes de chaque communauté de notre pays
c) La responsabilisation des leaders communautaires dans le déploiement de
l’action publique sur leur territoire en leur accordant un espace d’initiative
et des moyens facilitant l’exercice.
Ousmane SY
Commandeur de l’Ordre National
Ancien Ministre de l’administration du territoire
[1] Plusieurs communautés et
plusieurs langues qui ont coexisté et construit des règles du vivre ensemble
depuis plusieurs siècles
[2] Les communautés et leurs
vrais chefs se protègent de l’Etat et profitent de toutes les occasions pour
lui porter des coups tout en lui soutirant le maximum de profits possibles.
Commentaires