Les fausses peurs qui nous paralysent face aux reformes

Le débat en cours sur la révision constitutionnelle initiée par le Président de la République est édifiant sur la permanence d'un certain nombre de sujets qui sont devenus des tabous. Evoquer ces sujets ou envisager leur évolution, avec réalisme et anticipation,  apparaît, malgré la grave crise que vit notre pays, comme une hérésie avec le risque d'être traité de subversif, d'hérétique ou d'ennemi du pays.

Au nombre de ces questions tabous dont on n'ose pas parler figurent : l'autonomie des territoires régionaux et locaux, l'officialisation des langues nationales, les événements fondateurs d'une partie ou de la totalité de notre patrimoine culturel et institutionnel, la diversité des territoires et des communautés ethniques,. À chaque fois et cela depuis des décennies, c'est le sempiternel risque pour l'unité nationale qui est évoqué. D'aucun n'hésitant pas à proclamer que la moindre expression de la diversité comme le plurilinguisme, de l'identité communautaire ou territoriale, de l'autonomie d'un territoire, etc..., comporte le germe de l'éclatement du pays. 

Pourtant, il est aisé d'observer dans notre vie de tous les jours que ce qui tient encore notre pays, malgré toutes les misères et crises successives depuis l'indépendance, c'est la capacité de la société, moi je dis de la nation malienne à respecter et à gérer la diversité dans l'unité. Chaque enfant du Mali s'identitifie d'abord par son nom de famille qui renvoie à sa communauté d'origine, ensuite à son terroir d'origine ou d'attache qui permet de faire le lien avec les autres communautés voisines ou distantes. C'est un lègue de notre histoire commune.

Notre culture partagée a poussé le respect de la diversité jusqu'à l'invention de pactes de non agression et même d'alliance entre des communautés, des générations et des parentés différentes. Le sinangouya, le kalimeya, la bouranya, nimoninya, bref la somogoya, etc... demeurent encore des chefs d'œuvre pour le confort du vivre ensemble à travers la prévention et le règlement à l'amiable des crises et des conflits. Malheureusement, bien que chacun de nous les utilisant quotidiennement, nous n'avons pas osé encore franchir l'étape de leur insertion dans l'armature institutionnelle et administration qui gère le pays. Pour moi c'est une des raisons du décalage visible et persistant entre le pays réel et le pays légal. 

La majorité d'entre nous, surtout dans le cercle des élites dites modernes, est englué dans le "intellectuellement correct" vis à vis de nos maîtres penseurs (politiques et intellectuels) auxquels nous faisons encore référence, je dirais déférence, à chaque fois que le changement et l'osez être nous même s'imposent. Allons nous continuer à nier l'évidence que si notre pays existe encore, c'est parce que notre nation et nos sociétés ont réussi à unir sans uniformiser ? Si nous tenons à l'unité de ce pays, quelque soit sa forme d'organisation, osons à notre tour ce que nos "ancêtres glorieux" dont nous sommes si fières ont osé à leur temps pour faire le Mali fort et prospère qui a bâti sa réputation au delà des océans. 

Notre pays a un patrimoine politique et institutionnel qui est antérieur à la colonisation française que nous devons d'abord assumer (en bien et en mal) pour en tirer les leçons et pratiques positives afin de nous construire un avenir commun dans le pays et dans le monde. Un adage dit : "pour être du monde, il faut être de chez soi".

C'est le modèle d'Etat que nous nous efforçons de construire depuis l'indépendance et de maintenir, malgré toutes les crises successives et un dépérissement de plus en plus évident, qui est aujourd'hui la menace la plus grave pour le pays, sa paix et sa stabilité. Un Etat fort est d'abord et avant tout un Etat accepté.  Osons le changement pendant qu'il est encore temps.

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Au Sahel, le besoin de refondation de l’Etat est lié à la persistance des doctrines coloniales de gouvernement

Lettre à mes frères et sœurs de la région de Mopti

Des élections précipitées ne mèneront pas à une refondation de l’Etat