Au Mali, pourquoi la multiplication des ruptures n’a pas permis les changements souhaités ?

La quatrième irruption des forces de défense et de sécurité sur la scène politique, le mardi 18 août 2020, qu’on l’appelle coup d’Etat ou démission forcée du Président de la République, n’est que le nouvel épisode des ruptures politico-institutionnelles qui émaillent l’histoire politique de notre pays depuis son accession à l’indépendance. Je pense qu’il est temps, pour les maliennes et maliens, de se poser les bonnes questions sur cette succession de ruptures afin d’en comprendre les causes. Ce qui nous permettra d’éviter la prochaine ou d’en faire une opportunité pour avoir les changements souhaités depuis soixante (60) ans.

Le 20 juin 1960, le Soudan Français et le Sénégal réuni  dans la Fédération du Mali accède à l’indépendance. Deux mois plus tard, le 20 août 1960, le Sénégal se sépare du Soudan Français qui devient la République du Mali en proclamant son indépendance le 22 septembre 1960. À l’occasion de cette proclamation, les dirigeants de l’Union Soudanaise du Rassemblement Démocratique Africain (USRDA), un des partis politiques de l’époque, se sont  appuyés sur leur majorité politique dans le pays pour se muer en un Parti unique de fait, bien que la Constitution en vigueur autorisait le multipartisme.

En 1963, suite à une manifestation dans le milieu des affaires contre la création du franc malien, les premiers dirigeants du Parti Progressiste Soudanais (PSP), le deuxième parti politique du pays, sont arrêtés, jugés, condamnés et envoyés au bagne d’où ils ne reviendront jamais,

En 1967, le Comité National de Défense de la Révolution (CNDR), créé à l’occasion d’une conférence des cadres suite à des divergences politiques entre les dirigeants de l’US-RDA, a suspendu la Constitution du 22 septembre 1960 et dissous le Bureau Politique Nationale du Parti et l’Assemblée Nationale.

En 1968, les militaires du Comité Militaire de Libération Nationale (CMLN) ont fait un coup d’Etat sous le prétexte de libérer le peuple malien de l’oppression de l’USRDA. Ils ont ensuite dissous ce parti et interdit à ses dirigeants de mener des activités politiques pendant dix (10) ans.

En 1969 : Une tentative de putsch conduite par le capitaine Diby Silas Diarra fut mis en échec et une trentaine de putschistes sont condamnés aux travaux forcés avant de mourir en détention pour certains d’entre eux.

En 1971 : Le Capitaine Yoro Diakhité, deuxième personnalité du régime, est arrêté, jugé et condamné aux travaux forcés pour une tentative de coup d’état. Il meurt en juillet 1973, dans les mines de sel de Taoudeni.

En 1978 : Une troisième tentative avortée de coup d’État conduit à l’arrestation et l’envoi au bagne de plusieurs personnalités du régime comme Kissima Dounkara, Tiecoro Bagayoko et d’autres cadres de l’armée et de la haute administration. Rare sont ceux qui en reviendront.

En 1979, les militaires du CMLN, qui avaient dissous US-RDA, le Parti-Etat de fait, l’ont remplacé  par un Parti-Etat constitutionnel de droit cette fois qu’ils ont nommé l’Union Démocratique du Peuple Malien (UDPM).

En 1991, des officiers de l’armée et des forces de sécurité concluant l’insurrection populaire de janvier à mars 1991, menée par les organisations du Mouvement démocratique, mettent fin au pouvoir de l’UDPM et créent le Comité de Réconciliation Nationale (CRN) qui s’est fondu, avec les politiques et les associations de la société civile , dans le Comité Transitoire de Salut du Peuple (CTSP). Ce comité a organisé la Conférence Nationale qui a permis l’accès au pluralisme politique et aux libertés publiques.

En 2002, sous le prétexte d’amener les maliens à « retrouver ce qui les unis » un Général de l’armée à la retraite est élu Président de la République avec le soutien d’une organisation de la société civile dénommée « Mouvement citoyen ». Notons que ce militaire qui a dirigé la transition vers la démocratie pluraliste, avait comme slogan de campagne « retrouvons ce qui nous unis » suggérant ainsi que les politiques qui ont gérer le pays de 1992 à 2002 l’ont divisé.

En 2012, l’irruption des militaires du Comite National pour le Redressement de la Démocratie et la Restauration de l’Etat (CNRDRE) sur la scène politique ont interrompu le second mandat du Président sortant, réélu en 2007, à quelques semaines de la date de l’élection présidentielle.

En 2020, les militaires du Comité National pour le Salut du Peuple (CNSP) ont conclu une deuxième insurrection populaire, dirigée par le Mouvement du 5 juin - Rassemblement des Forces Patriotiques (M5-RFP), en obligeant le Président de la République en exercice a démissionné, à peine deux ans après le renouvellement de son mandat.

Il faut ajouter à cette longue liste de ruptures les quatre rebellions armées survenues respectivement en 1963, 1990, 2006 et 2012 dans les régions nord-est du pays avec comme prétexte la libération, l’unité, l’entente, la résistance patriotique, la justice, la coalition au profit des populations. 

Au vu de ce tableau pas très glorieux pour notre pays en termes de stabilité, on peut en déduire une fréquence des ruptures et qu’aucune de ces ruptures ou tentatives de ruptures n’a abouti à un changement bénéfique ou durable pour les populations. La question, qu’on est en droit de se poser, est de savoir pourquoi aucune de ces ruptures n’a permis de réaliser ses objectifs et d’inscrire le pays dans une trajectoire de stabilité et de progrès. 

Les raisons sont certainement multiples, mais il est aisé de remarquer que toutes les ruptures interviennent suite à la difficulté pour les maliennes et les maliens de faire des compromis qui préservent l’unité et la cohésion. Ce sont toujours des intérêts personnels qui priment sur le destin collectif.

Il me semble donc que la société malienne, dans tous ses compartiments, a perdu le sens de l’intérêt collectif qui a été remplacé par ce qu’on appelle en bamanankan « bé bi ba bolo » qui veut dire « chacun pour soi » en français facile. Cette culture qui donne la primauté à l’ individualisme forcené, s’est généralisée au point où seul ce que chacun gagne personnellement est le plus important pour lui. D’où la difficulté de s’écouter et donc de construire collectivement, dans la durée, un avenir commun.

Cette conception de la vie en commun, quelque soit son origine et ses causes, fait au finish perdre tout le monde. Un adage bien connu prévient pourtant : «  que personne ne peut construire son bonheur individuel dans un océan de misère. Misère qui finira toujours par le rattraper. A bon entendeur salut.

 

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